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 Nespresso: quand la simplicité du produit masque la complexité du processus d'innovation

  • JLS
  • Jeudi 02/09/2010
  • 17:30
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L'une de mes questions favorites lorsque je donne un cours sur l'innovation est de demander aux participants combien de temps ils pensent que Nestlé a mis pour développer et lancer avec succès sa machine à café Nespresso. Alors, votre réponse? Un an? Cinq ans? Eh bien non. La réponse c'est vingt-et-un ans. Parti d'une technologie licenciée à l'institut Battelle par Nestlé en... 1974, Nespresso ne deviendra rentable qu'en 1995. Il aura donc fallu 21 ans à l'entreprise pour "réussir" l'innovation Nespresso.

Durant cette période, Nestlé aura connu des problèmes techniques, et des échecs commerciaux (le produit a été lancé plusieurs fois, sur différents marchés avec des modèles économiques différents). Par exemple, l'une des premières tentatives de commercialisation vise les restaurants. L'idée est de vendre une petite machine à espresso aux restaurants. C'est mal calculer: conçue pour de petits volumes, la machine offre un coût à la tasse de café produit très élevé, alors que les restaurateurs n'ont que faire d'une petite taille mais font très attention au prix unitaire de la tasse produite. D'abord lancé au sein de Nestlé, le projet Nespresso doit rapidement être isolé dans une entité spécifique en raison de l'hostilité du reste de la société. Le projet ne cadre pas du tout avec le cœur de métier de Nestlé qui vend du café en sachets aux supermarchés, alors qu'il s'agit de vendre une machine à des particuliers. Il faut dire que le projet absorbe un budget conséquent aux dépends des autres unités d'affaires engagées dans une concurrence féroce avec les autres producteurs de café en grains.Le projet ne tient, malgré ses échecs successifs, que grâce au soutien du PDG de la société - Mais sur quelles bases a-t-il pu conserver sa confiance au projet? Était-ce rationnel? Jusque-là géré par des cadres pur-sucre de Nestlé, le projet connaît une nouvelle vie lorsque Nestlé se décide à recruter un outsider pour le diriger. Le choix se tourne vers celui qui avait lancé la marque de vêtements de Marlboro. Quelqu'un qui ne connaît donc rien au café, mais qui a l'expérience de lancer une affaire radicalement différente du cœur de métier de son entreprise, et qui n'est pas prisonnier des schémas de pensée de Nestlé (qui par ailleurs produisent des bénéfices réguliers comme une horloge suisse année après année: Nestlé est une société très, très bien gérée; la longueur du processus d'innovation ne peut s'expliquer par une éventuelle incompétence de Nestlé, l'hypothèse ne tient pas). Les études de marché sont négatives, personne n'en veut (un grand classique des innovations radicales), mais le dirigeant les ignore, et lance finalement le produit avec le positionnement que nous lui connaissons aujourd'hui. Et ça finit par marcher. Ajouter à cela l'idée du Club Nespresso, qui positionne le produit plutôt haut de gamme et permet un marketing direct aux clients, et l'ouverture de magasins gérés directement par Nestlé, une autre première pour la société, on a là une accumulation d'innovations qui montrent les risques incroyables pris. Surtout, le cas montre la persistance de Nestlé: 21 ans d'échecs, et chaque année l'entreprise remet au pot: "Continuez comme ça, on y croit toujours". Quand même, les réunions budgétaires annuelles n'ont pas du être faciles, surtout vers la fin quand les pertes s'accumulaient. Mais 21 ans d'échecs qui aboutissent à l'un des produits actuels les plus profitables de Nestlé, qui a connu 25% de taux de croissance au premier semestre 2009, en pleine crise économique. 21 ans pour une simple cafetière!